article publié le 12 novembre 2025
Samedi 1er Novembre, lors d’une prise de parole, le président américain Donald Trump s’est indigné du quiétisme du gouvernement nigérian face aux nouvelles exactions commises envers les chrétiens dans le pays et qui selon lui, pourraient conduire les Etats-Unis à intervenir militairement afin d’éliminer « les terroristes islamiques qui commettent ces atrocités horribles ». Derrière cette énième extrapolation trumpienne se dresse en réalité une plaie qui menace l’avenir du Géant d’Afrique.
Fort d’un potentiel démographique de plus de 235 millions d’âmes et connaissant une stabilisation économique avec l’inauguration du terminal d’exportation de pétrole brut d’Otakikpo ainsi que des investissements conséquents de la Banque Mondiale, le Nigeria apparaît comme un leader pour la croissance du continent africain de demain (dont il représente 25% du PIB) si toutefois il arrivait à mobiliser ses atouts, et notamment sa population, la plus importante d’Afrique.
Mais le Nigéria est une nation qui repose sur des bases fragiles. En effet après la décolonisation du pays, achevée en 1960, la nation nigériane s’est constituée à partir de ce qu’avait décidé la couronne impériale britannique, c’est-à-dire à partir de la fusion entre les territoires de plusieurs groupes ethniques qui vivaient séparément jusqu’à l’arrivée des colons : plus de 300 groupes ethniques, dont trois groupes dominants : les Igbo au sud-est, les Yoruba au sud-ouest et les Haoussa au nord. Ainsi le Nigeria en tant que nation indépendante a-t-elle opté pour la conservation d’une unité jadis forcée privilégiant le potentiel démographique et territorial, mais risquant sa cohésion populaire avec la menace de tensions et de conflictualités ethniques. Cette disparité ethnique et les disputes pour le pouvoir qui ont suivi l’indépendance et qui se manifestent encore aujourd’hui ont conduit à des pogroms et des soulèvements indépendantistes comme celui de 1967 qui vit la proclamation de l’indépendance du Biafra (région du sud-est) dans une tentative de sécession des Igbo matée par les armes. Ces évènements malheureux résonnent encore aujourd’hui et alimentent les rivalités ethniques et l’avidité dans la poursuite à la gouvernance du pays.
Les inégalités et iniquités constitutives du pays sont très fortement représentées géographiquement, et de fait le fossé éducatif, économique et politique coïncide avec la déchirure religieuse. La pauvreté rurale et la plaie du djihadisme via l’insurrection de Boko-Haram pour le nord à large majorité musulmane, le pétrole, les grandes villes et un taux d’alphabétisation supérieur à la moyenne nationale au sud très amplement chrétiens. Un sentiment très fort d’injustice fait aussi surface lorsque le « caractère fédéral » inscrit dans la constitution nigériane, est instrumentalisé par les gouvernements successifs dont le parti APC (All Progressives Congress) est le tenant depuis 2015, élu par la partie musulmane du pays. Ce « caractère fédéral » impose des quotas par État de personnes embauchées dans les institutions publiques. Ainsi de nombreux habitants du nord, incompétents, sont employés et promus dans les institutions publiques ralentissant l’efficacité et sabotant la mission de celles-ci. Cela vient évidemment aggraver les tensions entre deux parties dont les convictions religieuses, qui constitue comme de nombreux autres pays africains un pilier de l’identité, diffèrent et même s’opposent.
La tendance évolutive des populations chrétiennes et musulmanes joue alors un rôle majeur dans les massacres qui se sont intensifiés ces dernières années. En effet la part de la population nigériane se revendiquant chrétienne est en hausse constante depuis vingt ans et a ainsi atteint il y a peu la part de celle se considérant musulmane. Une évolution qui menace de fait, dans un pays où l’appartenance religieuse semble participer grandement aux mathématiques électorales, une certaine position dominante et les avantages de la communauté musulmane. Dès lors tout est en place pour créer une situation de quasi-guerre civile au sein du Géant d’Afrique. Les chrétiens sont la menace politique et culturelle des uns et les musulmans sont la menace physique - avec l’assimilation aux horreurs perpétrées par Boko-Haram dans les années 2010 – pour les autres. La période de la nativité 2023 a achevé de fixer cette situation de division sur fond d’appartenance religieuse lorsque 26 villages chrétiens de l’État de Planalto (centre du pays) ont été attaqués par des groupes d’hommes armés venant du nord du pays tuant alors environ 200 personnes et faisant plus de 500 blessés. Cet épisode illustre par son exemple ce qui se produit à moindre échelle depuis des années dans le pays, et ce qui fait du Nigeria le pays où plus de 80% des assassinats de chrétiens se produisent (en 2023, 4118 sur les 4998 dans le monde). Ainsi l’insécurité permanente et persistante vient menacer l’unité d’une république déjà fédérale.
Lorsque l’on se penche sur les tensions sociales ethniques et politiques au Nigeria l’on remarque que la différence de religion entre deux parties de la nation est le motif affiché des tensions qui s’y déroulent mais à la lumière de la structuration de l’État nigérian et des inégalités permanentes on comprend que le fait religieux est en fait le catalyseur d’une tension sociale critique. Les déclarations émues de Donald Trump sont alors à mettre en perspective avec des enjeux plus complexes que la seule liberté religieuse. Ses propos à l’endroit du président nigérian Bola Tinubu soulève cependant un point noir du mandat de ce dernier : il avait en effet promis lors de la campagne présidentielle de 2023 de faire de la lutte contre l’insécurité sa « priorité absolue ».
Comme beaucoup de pays africains le Nigeria est confronté à un problème vicieux et tenace qui mine tout effort visant à mettre en place des politiques pérennes : la corruption. Pointée du doigt par les détracteurs du régime qui voient en elle l’explication de l’impuissance - qu’ils qualifient de permissivité - des pouvoirs publics face à la crise sécuritaire latente, il semble néanmoins que le pays amorce des réformes économiques importantes saluées par la note du FMI (Fonds Monétaire International) de juillet 2025 qui vont selon lui « améliorer la stabilité macroéconomique et accroître la résilience » du pays. De plus le Géant d’Afrique a depuis mai dernier remboursé intégralement les 3,4 milliards d’euros empruntés au FMI en 2020 afin de lutter contre la pandémie de Coronavirus. Dans ces conditions l’on peut espérer dans les prochaines années une meilleure gestion de l’insécurité au Nigeria avec par exemple des investissements publics dans l’armée afin d’éliminer définitivement les groupes terroristes du Nord du pays et apaiser les tensions interreligieuses.